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Les élites touarègues face aux États nations : le cas des touaregs du Mali entre « rébellions », exil, résistances et divisions (1957 – 2012)

Retrouvez le résumé du mémoire de Fatimatou Walett Hamata sur la question des Touaregs du Mali. Ce mémoire, fruit d’un travail de deux ans (Master 1 et Master 2), a été présenté en soutenance en septembre 2023.

« L’irrédentisme touareg » ou encore « les éternelles révoltes des hommes bleus ». Des phrases répétitives qui sont utilisées à tort et à travers, dans les médias et qui visent à discréditer les revendications majoritairement touarègues.

C’est ainsi que s’est posé le « problème touareg » : Une ethnie considérée comme homogène d’origine berbère, historiquement originaire d’un grand espace traversant une bonne partie du Sahel et du Sahara, se donnant comme origine lointaine le Tafilalet, ayant une langue et une écriture, une des rares langues africaines à avoir conservé un alphabet (le tifinagh), qu’étudia le père de Foucauld, ancien et différent de celui de ses voisins, une culture unique qui se caractérise par un mode de production particulier et qui aspire à se gouverner elle même (ou à ne pas se laisser dominer par les autres cultures) et qui, enfin, retrouve en face d’elle des États, fruit d’une fabrication politique exogène, qui ignorent ce droit d’autodétermination. Les touaregs habitent dans les régions montagneuses du Sahara central, au Hoggar (Algérie), au Tassili des Ajjer, entre Ghadamès et Ghât (Libye), dans l’Aïr (Niger) et l’Adrar des Ifoghas (Mali).

Jadis nomades réputés pour leurs vertus guerrières, ils contrôlèrent pendant des siècles le commerce caravanier entre la Tunisie, la Libye et la boucle du Niger dont ils dominèrent les comptoirs pré sahéliens (Tombouctou, Agadez) et jouèrent un rôle important dans l’approvisionnement du Sahel et de la savane (échange sel mil). L’apparition des routes maritimes, l’entrée des Français dans Tombouctou (1894) et le massacre de la mission Flatters par les touaregs du Hoggar ponctuèrent le déclin de leur autonomie (1905 1920). Ils conservèrent un semblant d’unité durant la colonisation, mais la création de nouveaux États « indépendants » scinda leurs aires de nomadisme. Des menées indépendantistes suscitèrent de violentes répressions gouvernementales notamment au Niger et au Mali.

Cette question touarègue provient avant tout d’une marginalisation qui se déroule dans le cadre de la mondialisation. Une mondialisation que certaines élites touarègues voient plutôt en occidentalisation du monde.

Dans cette étude, nous revenons sur la genèse des problématiques qui se sont élargies au delà même de nos premières interrogations sur cette question.

En effet, ces premières interrogations partaient du statut quo touareg et en analysait les causes. Les premières interrogations partaient du statut quo touareg et en analysait les causes profondes. Les autres interrogations se focalisaient sur les liens étroits entre leur situation profondes. Les autres interrogations se focalisaient sur les liens étroits entre leur situation actuelle et les causes dans le passé.

Cette histoire de la question touarègue, passionnante en elle-même, l’est tout autant car elle croise et symbolise les grands débats africains sur la colonisation, la décolonisation ou les « indépendances ». Elle prend en compte les spécificités locales des réactions des différents peuples de l’Afrique francophone face à la colonisation française mais également dans la constitution de l’État postcolonial destiné à être un État – « nation ». Sans penser aux contextes de bipolarisation du monde, de la mondialisation, des grands discours et actions des militants et acteurs indépendantistes africains et asiatiques ou de leurs pères fondateurs, l’étude des touaregs du Mali pourrait nous éclairer implicitement sur tous ces évènements à travers leurs effets sur ce peuple. Cette recherche sur l’histoire de la question touarègue se veut apporter un pierre à l’édifice d’une compréhension du regard touareg sur l’histoire des touaregs et sur leur situation postcoloniale. 

Cette histoire des touaregs du Mali permet également d’aider à la compréhension de certaines questions dites contemporaines sur le Sahel et le Sahara. Elle éclaire tout d’abord la réaction de l’État malien à la question du leg colonial : « Comment moderniser les sociétés africaines sans retomber dans la dépendance coloniale et affirmer l’identité culturelle sans s’enfermer dans la tradition anticoloniale ? »1. En ce qui concerne les touaregs, l’évidence est là : l’État malien a reproduit les méthodes coloniales à l’égard des touaregs identiquement comme ça été le cas pour les indigènes soudanais face à la puissance coloniale (relation de dépendance coloniale). 

Par ailleurs, il ne faut pas écarter la réalité de l’existence de deux conceptions politiques diamétralement opposées des élites maliennes et touarègues. Les premières, à leur tête le socialiste Modibo Keita, avaient une vision nationaliste de l’État qui était strictement non – négociable et les opposants à cette idéologie étaient systématiquement réprimés. Les secondes avaient une idéologie politique basée sur le fédéralisme communautaire qui ouvre le débat des frontières artificielles héritées de la colonisation, de l’erreur de la validation, selon certains, de leur « intangibilité » par l’Organisation de l’Unité Africaine ainsi que des analyses des dialectiques nation/ethnie, assimilation, intégration/exclusion, dépendance/autonomie qui sont communs à plusieurs peuples colonisés notamment africains.  La situation (balkanisation, marginalisation, dépenses etc.. ) des touaregs illustre parfaitement ces thématiques.  

Les divisions internes notamment au sein des élites politiques touarègues symbolise l’inexistence d’une unité politique chez les touaregs, même s’il faut admettre que l’un des nombreux facteurs de division intercommunautaire est bien évidemment une influence extra-touarègue. En effet, il existait, certes, pendant la période précoloniale, une unité socio-économique, culturelle et linguistique touarègue, mais il n’existait pas d’unité politique2 qui, d’ailleurs, était leur talon d’Achille face aux Français lors des tentatives de pénétration coloniale car ils affrontèrent ces derniers de façon dispersés. 

Après les décolonisations, les touaregs, de manière générale, se sont retrouvés minoritaires dans chaque État. Au Mali, leur minorisation, sur un espace hostile qu’est le Sahara, ainsi que l’apparition des frontières, qui deviennent un obstacle à leur libre circulation au sein de leur espace de transhumance suivies d’un espace non maîtrisé et mal géré par l’État central, ont engendrés des marginalisations et la crainte de disparition de leur culture provoquée par la volonté politique des gouvernements issus de tribus différentes de les sédentariser par la force, de les écarter de la gestion publique, de les déposséder, de faire apparaître des politiques répressives à leur égard, c’est ce qu’ils considèrent être le plus dramatique3. Ces marginalisations ont donc inévitablement provoqués des révoltes tout au long de la période postcoloniale renforçant les clivages nordistes/sudistes, « blancs »/noirs, nomades/sédentaires et divisant également les intellectuels pro et anti touaregs maliens et étrangers. Ces soulèvements face à un État faible ont poussé ce dernier à renoncer à la répression et à proposer la résolution du conflit sur une table de négociation qui donneront naissance aux accords de « paix » et de « réconciliation » nationale (APR de Tamanrasset, Alger 1, Alger 2), des accords qui, paradoxalement, renforceront les divisions internes (entre touaregs) et externes (entre l’État malien et les touaregs).


1 Catherine Coquery – Vidrovitch (dir.), L’Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et colonisés (1860 – 1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 438.

2 Hélène Claudot- Hawad, Bandits, rebelles et partisans : vision plurielle des événements touaregs (1990- 1992), Politique africaine, 46, juin 1992, p.144.

3 « Il n’y a conflit identitaire que lorsque la survie réelle ou fantasmatique du groupe est en jeu. , quand celui-ci se sent dépossédé non seulement d’un territoire ou de son territoire, mais plus gravement, lorsqu’il se sent dépossédé de son droit de vivre, de son identité et de sa spécificité » Thual F., Les conflits identitaires, Paris, Ellipses/IRIS, 1995, p.6.

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